Regard d'une critique d'art sur mes collages
Quand Jean Paulhan découvre les morceaux de papiers peint dans les toiles de Braque et de Picasso, il les baptise, des « machines à voir ».
« Mes collages », nous dit Brigitte Barateau-Dumesnil « sont des outils pour voir. »
Ils font signe. Sur du carton ondulé, les images perdent leur caractère lisse. Dans un éclairage noir et blanc, comme dans les années cinquante au cinéma, on nous laisse croire au déroulement d’intrigues imprévisibles. Devant nos yeux se dressent des architectures énigmatiques, fantastiques, des portiques, rêves de pierre baudelairiens. Des femmes magnifiques habitent ce monde mystérieux, comme de signes d’interrogation. Des paysages urbains, des perspectives et des ouvertures, un ailleurs que l’on devine ... Aucune trace de voitures, de gangsters ni des lumières nocturnes. On retrouve souvent des escaliers qui ne mènent nulle part. Les visages des personnages qui hantent ces lieux ne sont jamais déformés, leurs corps montrés par fragments ne sont pas mutilés… L’atmosphère semble parfois inquiétante, d’autre fois nostalgique, elle participe à une esthétique de l’étrange.
Le travail de Brigitte Barateau-Dumesnil commence en 1992. Au départ il s’agit de trouver à travers le collage, une technique de concentration… L’émotion implose.
« Quand je réalise mes collages, je dois ressentir de la colère, de l’angoisse, une grande joie, être dans un état d’exubérance. Je m’installe, une pile des magazines auprès de moi. Je les feuillette rapidement, déchire les pages qui me surprennent en fonction de leurs formes de leurs couleurs…Je peux dire que ce sont les images qui me choisissent… Comme si quelqu'un était derrière une porte et que je laisse entrer. »
Ensuite, une sorte d’automatisme est à l’œuvre. Elle lâche prise, se laisse guider par l’inconscient.
Brigitte Barateau-Dumesnil colle image après images ou plutôt image auprès de l’image. Elle les enchaîne comme si elle liait des lettres les unes après les autres.
Elle colle vite, elle colle à l’aveugle. La toile ondulée lui permet de garder cet état de cécité car l’image choisie se rétrécit, se modifie instantanément, est en partie avalée par les reliefs du support. « Je ne m’arrête qu’une fois la toile prête. »
Dans ses premiers collages, le spectateur aperçoit encore la marque des déchirures qui constituent l’agencement des images. Mais la technique acquise par Brigitte Barateau- Dumesnil au cours des années est devenue imparable. L’ensemble semble surgir d’une seule et même matrice ondulée.
On peut se hasarder à dire à l’instar de Lacan que ces images ne sont pas là parce qu’elles ont une cause, mais parce qu’elles ont un sens. Et c’est justement ce qu’intéresse Brigitte Barateau –Dumesnil lorsqu’elle dit que ses collages sont des machines pour voir. Elles sont là, pour voir à l’intérieur d’elle-même.
Dans ce travail, le passage entre le processus créateur à la création effective est aboli. Ce qui est saisissant, c’est que le résultat soit structuré.
Au niveau du contenu nous sommes surpris par la rencontre fortuite des coïncidences. Au niveau de la forme, la composition soutient l’ensemble.
Le carton ondulé dirige la superposition d’images de manière telle, que ce monde nous apparaît comme à travers des vitres…Un monde qui se reflète à l’infini… Prêt à se casser en morceaux ?
Quand Julian Gracq tente d’interpréter les poèmes surréalistes issus de l’écriture automatique, il les compare à une « rosace des images élues ». Brigitte Barateau-Dumesnil parle de « l’esprit kaléidoscope » qui la motive. « On est parfois très clairs en contact avec le monde. Parfois on est en vrac, on est en morceaux. » Son art consiste à recoller les morceaux.
Paris 6 Novembre 2008