J'ai été JUREE D'ASSISES

Publié par Brigitte BARATEAU - Treflerèle

J'ai été JUREE D'ASSISES

Un premier tirage au sort sur les listes électorales a eu lieu, j’ai reçu un courrier en juin 2011 puis plus rien.

Un an plus tard le 30 juin 2012 je participe à une soirée TAROTS DE MARSEILLE avec deux amies. Je tire la carte LA JUSTICE …

Le 3 juillet 2012 je reçois ma convocation…il y a plusieurs affaires sur 15 jours, je vais être juré d’assises. 

Après le contrôle d’usage de notre identité nous entrons dans la salle d’audience.

Comment devient-on Jurée d’Assises ?

« La cour d’assises est la juridiction compétente pour juger les « crimes », au sens juridique du terme (par exemple, le viol est un crime), sauf ceux commis par les mineurs âgés de moins de seize ans qui relèvent du tribunal pour enfants. Cette cour présente un certain nombre de particularités. En premier lieu, elle associe, pour juger les infractions les plus graves, de simples citoyens aux magistrats professionnels. En effet, neuf jurés sont tirés au sort sur les listes électorales afin de former un jury, qui statue dans chaque affaire. Le président de la cour d’assises est quant à lui un magistrat de la cour d’appel. A ses côtés, siègent deux assesseurs qui sont des magistrats de la Cour d’appel ou du tribunal de grande instance. L’accusation est représentée par « l’avocat général ». La procédure est orale. Le jury et les assesseurs ne peuvent s’appuyer que sur les propos tenus au cours de l’audience pour se forger une opinion, mais le président a connaissance du dossier. Ce principe de jury populaire fait l’objet de vives critiques. En effet, les jurés n’ont par définition aucune compétence juridique et technique et sont, de ce fait, extrêmement influençables. Il existe par conséquent une grande disparité dans les verdicts que rendent les cours d’assises. Deux crimes identiques jugés le même jour dans deux cours d’assises différentes peuvent conduire à des sentences sans commune mesure. »

Articles 232 et suivants du Code de procédure pénale, 9 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante

Le premier jour nous avons une matinée d’information sur le déroulement d’un procès, notre rôle et celui de chacun des professionnels présents, un avocat général et un avocat viennent nous parler de leur travail.

Le deuxième jour arrive, tous les jurés sont là pour l’appel.

A l’appel de mon nom je savais que c’était envisageable mais je me disais que si j’étais là c’était bien pour être jurée non ?

J’entends mon nom, je me lève, je m’avance au centre de la cour, je monte quelques marches et j’entends : récusée J’ai senti monter de l’incompréhension, de l’injustice…..il faudrait savoir !!!

 

J'ai été JUREE D'ASSISES

Mais j’ai pris la décision de reporter à plus tard l’examen de ce ressenti là pour me concentrer sur ce qui se déroulait devant moi.

J’ai ainsi pu assister au début d’un procès pour viol jusqu’à la décision du huis clos où j’ai dû sortir.

Le protocole est impressionnant, les prises de paroles sont orchestrées par le président avec une certaine solennité qui impose gravité et calme.

Rendez- vous dans deux jours pour la prochaine affaire et le prochain tirage au sort…

Me revoilà, je me souviens de cette phrase qui m’accompagne depuis longtemps… « La vie c’est ce qui m’arrive alors que j’ai prévu autre chose.. » que me réserve la vie aujourd’hui ?

A l’appel de mon nom je savais que c’était envisageable mais je me disais que si j’étais là c’était bien pour être jurée non ?

J’entends mon nom, je me lève, je m’avance au centre de la cour, je monte quelques marches et j’entends : récusée

Ah non alors pas encore !!! Ben si….

Cette fois encore je décide de rester là car c’est ce qui est là… j’assiste dans le public au deuxième procès, celui d’un pédophile, je quitte la salle quand les jurés se retirent pour délibérer et je rentre chez moi.

Le soir je réfléchis et je me dis que ces révocations pourraient bien avoir un rapport avec ma profession (éducatrice spécialisée) mais la petite voix que j’aime bien, car c’est elle qui me fait grandir…me souffle « et si c’était LA révocation ton expérience à vivre ? »

Et là s’ouvre un espace qui me ramène à l’enfance, à ce que j’ai vécu comme non reconnaissance, non acceptation de qui j’étais, la difficulté à être à sa place, à tenir sa place…..intéressant… le prochain procès est dans deux jours prenons le temps de rester en contact avec ce qui surgit là bien à propos…

Je cherche parallèlement à ce travail intérieur les textes qui régissent la révocation et je découvre la réflexion d’un avocat.

J'ai été JUREE D'ASSISES

« Il ne faut pas attribuer des vertus thaumaturgiques* au droit de récusation. C'est tout le contraire : c'est la consécration légale d'une superstition irrationnelle qui veut que le destin existe et qu'il faut pouvoir le conjurer (http://www.maitre-eolas.fr ) » …..* sorcellerie, ésotérisme

Et je trouve cette idée passionnante…on ne choisit pas ses juges mais la Loi permet à l’accusé et à l’accusation de prendre un peu la main sur le destin.

Je suis moi convaincue que les jurés qui sont là, le sont parce qu’ils ont à vivre ça ensemble avec le condamné, la partie civile, le public…..et que l’expérience de chacun lui est propre, selon son histoire et qu’il en fera ce qu’il décidera d’en faire.

Je suis de retour pour le début de la troisième affaire et je suis là avec l’idée que si c’est la révocation que je dois vivre et bien ce sera encore là aujourd’hui.

A l’appel de mon nom je savais que c’était envisageable mais je me disais que si j’étais là c’était bien pour être jurée non ?

J’entends mon nom, je me lève, je m’avance au centre de la cour, je monte quelques marches et j’entends ….rien je suis donc Jurée pour cette affaire-là : un assassinat c’est-à-dire un meurtre avec préméditation.

 

Et maintenant je suis assise dans la Cour, nous sommes face à la salle en demi-cercle.

Rien à voir avec la place que j’occupais dans la salle précédemment.

La cour d’Assises ressemblait à celle-ci.

J'ai été JUREE D'ASSISES

Le président de la cour d’Assises est au centre, de chaque côté un assesseur et trois jurés. Un peu en retrait deux ou trois jurés remplaçants au cas où l’un d’entre nous devrait se retirer. Vu de ma place :

Sur la gauche à l’extrémité l’avocat général.

Sur la droite : le greffier.

Debout entre la cour et la salle : l’huissier de séance.

La salle d’audience: à droite l’accusé dans son box vitré, devant lui au premier rang son avocate.

Dans les premiers rangs à gauche la partie civile, l’avocat et la famille de la victime.

Ensuite sur les bancs certains jurés non tirés au sort et le public.

« Le rituel judiciaire possède une fonction fondamentale. Le mécanisme de tout procès consiste en effet à convertir un conflit, parfois violent, en paroles sensées : cette démarche n’est pas naturelle, et elle nécessite d’avoir recours à certains artifices pour réussir. Le formalisme de la procédure permet ainsi de distribuer la parole, de rendre le débat possible en aménageant à chacun une position stable, de chasser la violence pour laisser place au discours. L’agressivité initiale fait en quelque sorte l’objet d’une conversion, dans le cadre structuré de l’audience. Le rituel vient également rappeler que ce qui se joue au cours d’un procès dépasse la réalité concrète de ses protagonistes : le costume porté par les magistrats permet par exemple de marquer la distance entre leur individualité et la fonction qu’ils occupent. Le rituel est ainsi le moyen de garantir à la justice son autorité : il possède la fonction paradoxale de rendre sensible (par le recours aux symboles) la distance qui nous sépare de la loi et qui en fonde la grandeur…. » www.service-public.fr)

Le procès sera public à la demande de la partie civile malgré ou à cause des faits sordides.

Un jeune homme de vingt ans a assassiné une femme de 70 ans, prostituée, pour lui voler de l’argent, il la découpée en morceaux…. Je ne rentrerai pas dans les détails même si ce procès a été public.

La première journée du procès concerne l’accusé, sa vie, son profil psychologique, son histoire jusqu’à aujourd’hui.

Je vois et j’entends un être qui répond sans aucun affect, qui donne des réponses surprenantes à ses actes comme si une autre logique apparaissait là devant nous.

Il ne manifeste aucune émotion en entendant parler de lui à la troisième personne comme s’il s’agissait vraiment de quelqu’un d’autre.

Il raconte comment il est allé jusqu’en 1è S et que progressivement il s’est absenté de plus en plus physiquement mais aussi mentalement en restant de plus en plus souvent et longtemps devant son ordinateur pour des jeux en réseau où il incarne le personnage qu’il s’est choisi.

 

J'ai été JUREE D'ASSISES

Il n’en dira pas plus sur ce héros auquel il paraît s’identifier chaque jour plus encore.

IL serait assez simple de penser que « c’est la faute aux jeux vidéo » s’il a perdu le sens de la réalité, s’il s’est construit une morale à lui pour justifier ses actes.

 

On pourrait aussi évoquer l’attitude des parents pas très impliqués dans l’éducation de leur fils….

Ce qui trottait dans ma tête à ce moment-là c’était la pensée que son acte avait été commis en pleine bouffée délirante, que c’était un psychopathe….que son acte étant tellement inhumain qu’il devait être fou.

J’attendais la déposition de l’expert sur son état psychique comme pour me rassurer…or ce jeune homme a commis un acte fou mais il n’est pas fou, il est donc responsable de ses actes.

Et là je vois petit à petit comment un être peut agir en étant convaincu que sa logique est bonne, que son raisonnement se tient, que le bien et le mal ne sont pas vus de la même manière selon le point de vue d’où l’on se place…

C’est terrible cette sensation ! La construction jour après jour d’une implacable logique à laquelle il finit par croire. L’autre n’existe pas différencié de lui comme un être qui ressent, qui souffre puisque lui ne ressent rien de sa propre souffrance, il est tellement barricadé dans sa citadelle.

J’entrevois en l’écoutant un petit enfant bâillonné qui crie à l’intérieur désespérément mais il est tellement loin de nous… Et J’imagine la souffrance de la victime….je dis bien j’imagine.

 

J'ai été JUREE D'ASSISES

La partie civile a choisi de nous parler de la victime justement en nous montrant des photos d’elle avant les faits. Beaucoup d’émotion pendant ces dépositions, un grand courage et de la dignité pour

s’exprimer là dans ces circonstances. En tant que jurés je sais que je ne dois rien exprimer, ce n’est pas si simple. L’émotion est palpable dans la salle, dans le box de l’accusé aucune réaction.

En visitant la prison de La Santé je m’étais demandée comment fait-on dans un cadre comme cela pour prendre conscience de ses actes ?

Beaucoup de livres ont été écrits sur la réalité carcérale, je me souviens avoir lu avec beaucoup d’attention le travail du thérapeute Alvaro Escobar Molina qui intervient en prison et dans des monastères. (« L’enfermement »)

Il a étudié les processus de sublimation et de survie dans des lieux où « le corps se donne à voir comme une œuvre en train de se faire et se défaire » il définit trois étapes : l’initiation, la négociation et le dépassement ou la mort. Une réflexion puissante sur la perception de soi, de l’autre, de la relation, de la solitude…

Je n’évoquerai pas les délibérations des jurés bien entendu. Il nous a fallu répondre aux différentes questions concernant la culpabilité de l’accusé, sa responsabilité et décider de la peine encourue. Lourde responsabilité de juger des actes mais aussi de juger une personne.

Le président de la cour a été remarquable. Dans sa façon de s’adresser à chacun pendant le procès pour faire la lumière sur les faits, les circonstances, les motivations. Quand il a donné à chaque fois la possibilité à l’accusé de s’exprimer, de répondre aux questions, il était attentif aux mots, aux silences. Il a été disponible pour nos interrogations ainsi que les deux assesseurs.

La dernière partie du procès d’assises se déroule en trois temps. La parole est donnée en premier à l’avocat des parties civiles qui développe les thèses de l’accusation. Vient ensuite le réquisitoire de l’avocat général (accusation). Après avoir généralement débuté par un rappel des faits, il précise la peine qu’il souhaite voir infliger à l’accusé. L’avocat de la défense intervient en dernier pour tenter de convaincre les jurés de décider de faire preuve l’indulgence. L’accusé, quant à lui, est invité à prendre la parole après la plaidoirie de son défenseur. Article 346 du Code de procédure pénale

Ce moment est vraiment très fort, les avocats nous regardent droit dans les yeux, les plaidoiries sont à l’intention de la Cour juste avant les délibérations. Il y a eu tous les témoignages, les expertises, les questions…les plaidoiries « ramassent » tout cela. Nous nous retirons pour délibérer.

Nous avons pu exprimer nos ressentis à huis clos, librement et nous avons pris nos décisions seuls en notre âme et conscience, le vote est à bulletin secret. Six voix au moins sur 9 pour la culpabilité, et majorité absolue pour la peine soit 5 voix.

Quand la cour est revenue et que le verdict a été énoncé le silence était impressionnant.

Aucune réaction de l’accusé, de la partie civile, du public.

Ce jeune homme de vingt ans a été condamné à 30 ans avec une période de sureté de 18 ans assortie de la mesure de rétention de sûreté en fin de peine. 

« Avant la fin de l'exécution de sa peine, la situation du détenu est réexaminée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, après son placement, pour une durée d'au moins 6 semaines, dans un service spécialisé chargé de l'observation des personnes détenues, et aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d'une expertise médicale. »

Cette dernière mesure existe depuis peu et fait débat, elle est qualifiée de « peine infinie » puisque reconductible d’année en année.

Qu’est-ce que la justice ?

« La justice est toujours une conquête de la civilisation sur la violence, de l’apaisement sur la vengeance sans fin, de la stabilité sur le chaos » (www.vie_publique.fr)

Je voudrais retranscrire ici ce qu’Edmond Delcamp écrit sur le jugement dans le TAROT initiatique, symbolique et ésotérique

« Aucun jugement n’a de valeur vraie s’il n’est reconnu fondé par celui à qui il est opposé.

Le jugement de contrainte du monde ne peut être qu’une mesure de protection de ce monde, il n’a pas les caractères qu’il lui faudrait pour être en outre, un élément de relèvement et de salut du coupable. »

Qu’elle va être pour l’accusé l’effet de cette sentence ? Comment va-t-il accéder à la compréhension de ses actes ? Que va-t-il mettre en place pour cheminer vers un équilibre intérieur qui tiendra compte des autres êtres humains et non de la seule satisfaction de ses besoins comme source de plaisir.

Le milieu carcéral est un milieu très dur, les relations humaines sont faussées par le regroupement des personnes ayant commis des délits, leurs points communs sont la rancœur, la vengeance, la haine de soi et de l’autre. Comment accéder à une réflexion sur son histoire personnelle ?

 

 

 

 

J'ai été JUREE D'ASSISES

J’ai animé pendant six ans des ateliers d’expression en milieu carcéral adulte à la maison d’Arrêt de Nanterre, les collages réalisés sont très forts, chaque séance est un groupe de paroles, les images renvoient chacun à sa réalité, à son « affaire ». Je me souviens d’une séance où un détenu était là par indication thérapeutique, il avait tué sa femme et tenté de mettre fin à ses jours ensuite mais voyant qu’elle vivait encore il avait appelé les secours. La jeune femme est morte dans l’ambulance et il allait être jugé. Le partage de ses interrogations sur les raisons de son acte dans ce groupe a été émotionnellement très fort. Chacun (moi compris) tentait de comprendre ce qui fait qu’un être bascule ainsi. Les autres participants, dealer, assassin, braqueur, pédophile, étranger en situation irrégulière, mercenaire… réfléchissaient à leur propre histoire et lui conseillait d’être patient...

 

collage réalisé par un jeune détenu lors d'un atelier collage. Sans un mot, sans explication. Ensuite il s'est levé et il a quitté la salle.

collage réalisé par un jeune détenu lors d'un atelier collage. Sans un mot, sans explication. Ensuite il s'est levé et il a quitté la salle.

Publié dans Réflexions

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :