Les miroirs voyants: Bernard REQUICHOT
De l’abîme noir à l’abîme blanc..
« Ce que je fais n’est pas fait pour être vu » affirmait Bernard Réquichot, artiste qui rêva de tuer la peinture jusqu’à ce que celle-ci finisse par avoir sa peau, à l’âge de trente deux ans. Poète, il cherchait un langage épuré de tout sens, une écriture d’avant les langues, susceptible d’exprimer, non quelque virginité illusoire de l’origine, mais ce qui jamais ne fut dit, faute d’une syntaxe du silence.
Cet homme dangereusement vivant est hanté, et tenté, par la mort, dont il use comme d’un combustible dans les chaudières de sa création lancée à toute vapeur vers de sombres terminus. « je me suis laissé être », avoue t-il avec un sourire sarcastique, suggérant à mots couverts qu’être c’est toujours plus ou moins se faire avoir. Nul pourtant ne fut moins naïf que ce grand corrupteur de formes au regard « tourné vers l’intérieur de la tête, sondant des abîmes », qui disait de lui-même, feignant sans cesse d’être l’autre : « il lui arrivait de douter même de son doute. »
Réquichot dont le nom semble un écho sonore de Don Quichotte a élaboré en une dizaine d’années seulement une œuvre à la fois subversive et sacrificielle qui se situe à la lisière entre l’art informel et l’avènement s’une autre écriture. Son parcours, fulgurant, va de l’abîme noir à l’abîme blanc, de la lutte avec l’ange du néant jusqu’à l’illumination de l’implosion finale, qui ne réconcilie rien, mais unifie les débris de l’être.
Le poète Réquichot contribue à percer les intentions secrètes du peintre, de même peut-on avancer que les reliquaires ou les papiers choisis issus des mains de l’artiste constituent d’authentiques poèmes visuels, de la pensée devenue objet. « mes peintures, confiera t-il, on peut y trouver des cristaux, des branches, des grottes, des algues, des éponges… »
Cette apparente abstraction recèle ainsi la part la plus concrète du monde, celle que l’on peut saisir en plein vol ou capturer au nid pour la garder au chaud de sa mémoire : « j’ai failli ramasser hier une feuille morte collée sur un sillon, mails il m’eut fallu emporter dans ma chambre le sillon tout entier pour ne pas déparer la feuille… » en sa prime jeunesse, Réquichot connaît la tentation de signer l’univers, d’inscrire son nom en bas à droite de l’océan, de la montage ou du ciel ; plus tard dépossédé de ses pouvoirs démiurges, incertain désormais de son identité, il avouera : « peintre, j’ai cherché et j’ai fini par trouver la couleur de l’espace sans mesure ! elle est noire. »…..
d'après le livre de Marc Alyn "Les miroirs voyants "