Fuite dans les idées
Un soir où je prenais racine
Entre la cuisine et le bar
Dans un état
Secondaire
Planté comme un conifère
Devant
Ma machine à frapper les mots
Incapable d'en aligner trois
Sans me sentir aussitôt la proie
D'une effroyable incertitude
J'avais beau me gratter la tête
Réembobiner la copie-cassette
Où un quatuor
De pointures
Ténors de l'appoggiature
Martyrisaient
Le morceau que j'avais
Pompé sans le savoir
à Jean-Sébastien Bach, Vivaldi, Albinoni
Et peut-être aussi à Wolfgang Amadeus Mozart
Bien que n'étant pas homme
A désarmer devant les aléas de la
Création
Là, je me sentais comme
Une chenille accablée à la pensée
De finir papillon
Lorsqu'une idée sublime gracieuse et légitime
Surgie du fond de mon inconscient
S'en vint tout naturellement sonner les matines entre mes deux tympans
Alors que je touchais au but
Tendu comme une sauterelle en rut
Un uppercut à la cervelle
Me décrochait l'occiput
Une foule d'idées préconçues
Un flot d'idées contradictoires
Un paquet d'idées saugrenues
Un tas d'idées sans queue ni tête
Par le canal de ma mémoire
S'est emparé de mon intellect
Et lui a mis le grappin dessus
Et l'idée fabuleuse
Qui me paraissait digne des esprits
Les plus performants
L'idée faramineuse
Dont la lumineuse clarté
Allait confondre l'humanité
Une idée simple et forte
Qui m'ouvrirait les portes
De la gloire, de la notoriété
De la faculté, des lupanars
Va savoir, de
L'Académie Charles Cros
Cette idée qui m'était venue
Traumatisée par la cohue
Le blabla des idées
Creuses
Laborieuses
Profitant d'un éclair de lucidité
Discrètement s'est évanouie
Laissant dans mon esprit délabré
Cette pensée que je vous donne à méditer
A quoi bon se faire trop d'idées
Si on ne peut les dominer
J'espère
Que vous n'allez pas
M'abandonner
C'est toujours la première idée
Qui est la bonne
- Moi j'ai une idée, que c'est super, c'est une idée que....
- Dehors !
Jacques Higelin