Des hommes incarcérés

Publié le par Trèflerèle

Des hommes incarcérés

Comme je l'ai présenté dans l'article précédent http://www.treflerele.com/2014/05/mes-vacances-en-prison.html pendant six ans j'ai proposé des ateliers collages aux hommes incarcérés à la Maison d'Arrêt de Nanterre.

Il n' y avait pas de thèmes choisis, chacun pouvait faire ce qu'il voulait à partir des magazines fournis. Pour l'anecdote j'avais demandé au personnel et aux bénévoles de m'apporter des revues pour que le stock soit le plus varié possible. Une brave dame d'une association caritative que je ne nommerais pas avait apporté des revues sans images "pour qu'ils n'aient pas de mauvaises pensées!! "

Il est évident que j'avais un grand nombre de ELLE, PARIS MATCH, LE NOUVEL OBS, ces messieurs avaient un malin plaisir à regarder les belles dames sur papier glacé ce qui a permis, passé les plaisanteries grivoises qui défoulent, d'aborder aussi au fil du temps le sujet de la solitude, l'absence, les parloirs, la femme, la famille....

Les ateliers sont devenus au fil du temps des groupes de paroles, une certaine confiance s'est établie entre les participants même si chacun restaient sur la défensive pour ne pas en dire trop..

je me souviens d'un jour où un participant a lancé à un autre " tiens j'ai vu ta femme et ton fils au parloir, encore un que tu ne vas pas voir grandir!" j'ai senti comme une flèche passer de l'un à l'autre, le destinataire a accusé le coup et des larmes sont montées à ses yeux, il avait un mal fou à les retenir.

J'ai alors commencé à dire au groupe que c'était dur de voir sa famille quelques heures par semaine, de voir ses enfants grandir ou même de ne pas les voir du tout, de ne pas recevoir de lettres de sa mère, de sa soeur.....et là tout à coup tout le monde était concerné et l'émotion était palpable. Et celui dont il est question au début s'est exprimé sur sa culpabilité face à ses enfants, à sa femme...ils ont partagé, je n'ai pas pu m'empêcher de regarder discrètement ma montre et si le surveillant arrivait maintenant pour annoncer la fin de l'atelier? il est resté un quart d'heure le temps à chacun de se "reprendre", ils m'ont tous serré la main avant de partir...

Un autre souvenir?

Un participant me lance un jour sans préambule: " Pourquoi tu es là au lieu d'être dans une maison de quartier sympa? qu'est-ce que tu penses de nous? est-ce que tu nous méprises?"

Autant dans un groupe "dehors" on peut trouver un échappatoire à ce genre de question et botter en touche comme on dit ..

Ils me regardaient tous attendant ma réponse.

Je leur ai raconté comment j'étais entrée dans cette prison par ma fonction au Conseil Général des Hauts de Seine, chargée d'accompagner les projets dans le cadre de la prévention de la récidive, que personne ne voulait venir et que j'avais pensé que la vie m'envoyait là surement pour une bonne raison. Le personnel pénitentiaire apprenant au fil de nos réunions de travail que je faisais des collages m'avaient sollicités, que j'avais d'abord pensé qu'ils trouveraient cela infantile mais accepté le challenge...

Evidemment il me fallait répondre à la deuxième question...

Qu'est-ce que je pense d'eux?

Je suis qui moi pour juger de ce qu'ils ont fait? si j'avais été à leur place, après avoir vécu ce qu'ils ont vécu est-ce que je peux dire que je n'aurais surement pas fait la même chose? J'ajoute que je n'avais pas forcément d'informations sur les motifs de leur incarcération, je pouvais le demander mais j'avais préféré l'ignorer.

Je savais qu'il y avait des condamnés pour des délits mineurs mais aussi pour des crimes, des assassinats ( c'était une maison d'arrêt).

Il n'était pas question pour moi de les absoudre inconditionnellement mais de ne pas les juger.

est-ce que tu nous méprises?

Si oui serais je ici avec eux? dans quel but?

S'en est suivie une discussion sur l'importance pour eux de voir des personnes de l'extérieur qui n'ont pas une fonction d'encadrement ou de soin.

De retour chez moi je me suis rendue compte qu'une petite voix me disait que quand même ils auraient pu ne pas se faire prendre? c'est pas du mépris ça?

et une autre qui me soufflait qu'au contraire s'ils étaient là c'est qu'ils avaient besoin que quelqu'un les arrête, qu'il était temps! que jusqu'à maintenant ils n'avaient pas rencontré de résistance à leur provocations, à l'expression de leur mal être et que sans limite ils continuaient à appeler à l'aide.

Je ne dis pas que la prison c'est le meilleur endroit pour progresser mais c'est au moins l'endroit où l'on est obligé de s'arrêter pour voir, comme m'a dit un jour un détenu. On dit une maison d'arrêt, mettre aux arrêts c'est mettre en lieu sûr....

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